Logan Lucky

Steven Soderbergh avait promis de prendre sa retraite. C’était en 2013, à Cannes, après la projection du somptueux Ma vie avec Liberace. Il avait juré, droit dans les yeux, que le cinéma, du moins sur grand écran, c’était terminé pour lui ; j’étais resté sceptique. Puis quatre ans et quelques projets plus tard, le plus actif, haut la main, des cinéastes actuels, revient.

Deux frangins pas très futés en déveine entreprennent de dérober la recette d’une course de Nascars. Ocean’s Eleven prolo à la conduite irréprochable, Logan Lucky se fait aussi la chronique sensible de l’Amérique de Trump. Retour gagnant pour Soderbergh.

Etats-Unis « rouges »

Cette fois ci, plutôt que de loger ses personnages dans des hôtels de luxe de Las Vegas ou de la Riviera, Soderbergh les installe dans une autre réalité : celle des Etats-Unis « rouges » (républicains), cette foule presque exclusivement blanche qui se lève quand une chanteuse country entonne America the Beautiful avant le départ d’une course de la Nascar, dont les petites filles rêvent de devenir reines de beauté, et dont la couverture médicale laisse à désirer.

En Caroline du Nord, où la famille Logan vit depuis des générations, le clan a acquis la réputation d’attirer la poisse. Jimmy (Channing Tatum) aurait pu être une star du football si une blessure au genou ne l’avait pas laissé boiteux. Il gagne sa vie sur les chantiers de construction, jusqu’à ce qu’il soit licencié, justement parce que ses patrons croient discerner chez ce colosse une faiblesse physique. Clyde (Adam Driver), son frère cadet, revenu d’Irak sans son bras gauche, tient un bar qui ne doit pas être recensé sur Trip Advisor. Mellie (Riley Keough), leur sœur, est employée dans un salon de coiffure (un emploi stable dans une région où l’on sait encore ce que permanente veut dire)

C’est sans doute ce regard sur ce monde prolétaire, où l’on soutient probablement Donald Trump, qui séduit.

Montagnes russes

Ecœuré par l’injustice de son licenciement, Jimmy a eu une idée : plutôt que de pointer au chômage, pourquoi ne pas profiter des informations qu’il a accumulées sur son dernier chantier (dans la tuyauterie d’un circuit automobile), pour dérober la recette journalière de la plus grande course de l’année ? Il décide de prendre un raccourci pour réaliser le rêve américain.

Il s’entoure pour cela de son frère, de sa sœur coiffeuse (Riley Keough) et d’un spécialiste en explosifs (Daniel Craig) qui n’a qu’un défaut : être « in-car-ce-ra-ted », en taule donc.

C’est qu’à ce point du récit, on ne sait encore si ces deux-là sont de parfaits abrutis (du type de celui qu’incarnait George Clooney dans O’Brother) ou s’ils cachent leur jeu.
Sans dévoiler les sinuosités d’un script que le film dévale avec l’allant d’un wagonnet de montagnes russes, on peut faire remarquer que Soderbergh regarde les Logan avec trop d’affection pour qu’il leur arrive de grands malheurs. Cette affection s’étend à tout ce qui les entoure.

Pour distribuer Logan Lucky aux Etats-Unis, le cinéaste a voulu échapper au système coûteux et peu rentable qui régit les sorties des films de studio. Limitant la promotion (pas de spots télévisés), recourant à un distributeur indépendant, Soderbergh voulait prouver qu’il n’était pas utile de dépenser autant d’argent pour sortir un long-métrage qu’on en avait dépensé pour le réaliser.

L’injustice d’un système dénoncée

Soderbergh utilise une mise en scène a–u découpage serein, une direction d’acteurs irréprochable et punchlines à l’avenant. Avec une excellente écriture de la part de l’inconnue Rebecca Blunt.  Mais il y a, comme souvent chez l’auteur, quelque chose d’autre : le regard porté sur des personnages qui, chez d’autres, se verraient réduits à une bande de ploucs, amateurs de rallyes de tondeuses à gazon et friands d’excursions au “mall” du coin, ne se départ jamais, ici, d’une réelle tendresse. Et, lorsqu’une fillette concourant à l’élection de miss locale, outrageusement maquillée et censée interpréter Umbrella de Rihanna, aperçoit son père dans la salle et entonne, a capella, les paroles du Take Me Home, Country Roads de John Denver, ode à la Virginie-Occidentale, , Alors, en une toute petite scène, qui ouvre le film en deux et en révèle le cœur secret (un ancien mineur au chômage, un vétéran amputé d’un bras en Irak… : c’est un peu de l’Amérique de Trump, paupérisée et déboussolée, que chronique ici l’auteur)

Le propos de Logan Lucky voudrait alors surmonter une autre des contradictions du cinéma hollywoodien, produit issu d’une industrie favorable au Parti démocrate et aux causes libérales, au sens américain du mot. Or, les films qui défendent ouvertement ces positions ne touchent que les convertis, comme le sait très bien le réalisateur de Che. En éclairant ses rednecks (au sens propre du terme, ils sont nommés ainsi parce qu’ils passent leur temps aux champs ou sur les chantiers, jusqu’à prendre des coups de soleil) d’une lumière bienveillante, tout en égrenant discrètement les maux qui les frappent (la désintégration du mouvement syndical, la désindustrialisation, la faillite du système de santé, ici incarné par Katherine Waterston en infirmière), Soderbergh tente de franchir le fossé qui divise les deux Amériques.

Les résultats de Logan Lucky au box-office (27 millions de dollars) n’ont pas été à la hauteur des espérances du réalisateur. Ce film, aussi intelligent que distrayant qui dénonce l’injustice d’un système, a lui-même été victime de l’injustice du public.

Léo Jacquet

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