Blade Runner 2049

Ce sequel tardif du film culte des années 1980 est une splendeur visuelle dans laquelle les visions sont au service de plusieurs questionnements existentiels et politiques où tous les puissants moyens technologiques hollywoodiens sont mis au service de ces visions inspirantes.

Durant ces 2h45, le film parvient à développer le propos de son modèle sans avoir à l’éclairer sous un nouvel angle par une blague très intelligemment écrite, glissée dans un échange entre les personnages de Ryan Gosling et Harrison Ford, la séquelle évacue par exemple l’un des débats centraux du classique de Ridley Scott, pour mieux le laisser à l’opinion du spectateur.

La tension s’installe. Et la contemplation, plus encore que l’action. C’est le défi un peu fou de ce Blade Runner 2049. Il nous plonge donc dans le monde futuriste d’un Los Angeles vertical, froid, cerné de brouillard, de neige, de pluie et plongée dans une nuit éternelle. Une bulle de verre grise et bleutée, aux couleurs amorties, dans laquelle l’agent K évolue comme un somnambule. L’univers urbain dépeint ici est d’une telle densité, d’une telle force d’évocation, qu’il ferait passer Gotham City pour une aimable bourgarde et le L.A. de Blade Runner pour une métropole actuelle.

On est immergé, enraciné dans ce futur, de manière lente, hypnotique. Certaines zones post-apocalyptiques sont plongées dans une pollution opaque sublimée par la photographie époustouflante de Roger Deakins, et dont la quête de l’officier K fait penser à Stalker, d’Andrei Tarkovski.

Cette vision au futur antérieur de notre époque est magnifique et bouleversante en nous montrant d’une façon saisissante que tout ce qui a tellement compté pour nous est voué à disparaître, condamné à un devenir-ruine, nos icônes transformées en lucioles fragiles, oubliées et dématérialisées tremblotant dans la nuit post-apocalyptique.

On peut apercevoir que le réalisateur opte pour un découpage sec, une brutalité soudaine et des contrepoints systématiques en termes de mise en scène, éclairant les événements sous un angle émotionnellement décalé. Le cinéaste s’intéresse aussi davantage aux silences de ses protagonistes qu’à leurs dialogues effectifs.

Ce film repose les fondamentaux d’une vraie science-fiction pour adultes, sous haute influence littéraire, fuyant les formules hollywoodiennes. On peut mentionner Sartre, on pourrait continuer avec des épisodes de la Bible (l’enfant qu’on abandonne pour le protéger, Moïse), Freud (la théorie des rêves), les multiples références picturales, artistiques et bien sûr cinématographiques. Comme un couple de personnages artificiels, l’un organique, l’autre numérique ainsi que leurs interactions font rappeler Her de Spike Jonze ou A.I. intelligence artificielle de Steven Spielberg. Et il glisse même des hommages à des maîtres, de Stanley Kubrick au Fritz Lang de Métropolis. A ce dernier, on pense surtout dans le finale, impressionnant, combat titanesque sur fond de déluge. C’est une belle allégorie d’un rêve qui se brise.

L’élégie pour l’humanité est tempérée par un affrontement clandestin très politique entre le peuple opprimé des réplicants et les forces qui les dominent. Le collectif passe aussi par l’intime. Puis avec la réplique du film sur les réplicants, le schéma Twin Peaks: The Return se répète, et soulève une nouvelle question théorique : faut-il laisser reposer les objets cultes pendant quelques décennies avant de les réactiver pour les rendre plus beaux et plus forts ?

Je dirai que les meilleures séquences de Blade Runner 2049 leur sont consacrées, en particulier une scène d’amour entièrement basée sur les apparences trompeuses de la réalité. Et même si les scènes de Jared Leto (Niander Wallace) sont juste incroyables, je trouve que ce personnage n’est pas assez exploité dans ce film.

Au final, Denis Villeneuve semble jouer à la roulette russe d’un point de vue commercial en touchant surtout nos nerfs sensibles profonds. Car oui, Blade Runner 2049 n’est pas un film d’action trépidant (même s’il comporte quelques scènes dans cette veine) mais une mélopée languide, mélancolique, existentialiste, qui porte en elle la solitude, le doute, l’épuisement, le mal-être rongeant une part croissante de l’humanité.

Blade Runner, l’original, est encore considéré aujourd’hui comme le firmament du film noir futuriste, un genre cinématographique qu’il a lui-même créé, et dont ce sequel rentre parfaitement dans ce style.

L’alliage de cette tonalité élégiaque et d’une fontaine d’idées visuelles jaillissant incessamment nous hante longtemps après être sorti de la salle. Villeneuve a signé une merveille de blockbuster dépressif, de dystopie féérique.

Léo Jacquet

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