La Mort De Staline

Armando Lannucci, après avoir consacré un film à l’invasion irakienne (In The Loop, 2009) et une série aux coulisses du 10 Downing Street (The thick of it, 2005) cherche un dictateur à passer à la moulinette de la comédie britannique. Embarras du choix. C’est finalement la société de production « Quad » qui vient lui proposer de réaliser l’adaptation d’une bande-dessinée française écrite par Thierry Robin et Fabien Nury, La Mort De Staline. Le réalisateur est conquis tant que toute l’absurdité du totalitarisme est là, dans ce qu’il a de plus horrible mais aussi de plus grotesque, et Lannucci réussit le pari de maintenir ces deux pôles en équilibre durant toute la durée du film. Petit problème, le long métrage anglais a été interdit en Russie. De plus la sortie du film était prévue durant les élections présidentielles Russes 2018. Quelles coïncidences !

Une histoire inspirée de faits réels

Aussi impressionnant que tout cela puisse paraître, la grande majorité des situations décrites sont bel et biens réelles ; de la mise en scène aux dialogues, Armando Iannucci ne fait que mettre sous nos yeux tout ce que le stalinisme portait en lui de non-sens. Staline aurait ainsi peut-être survécu si ce n’était la terreur qu’il avait lui-même instauré comme système politique. Au moment où le tyran s’effondre, aucun des deux gardes postés de l’autre côté de la porte n’ose entrer dans la pièce de peur d’être fusillé. Tous les médecins qui auraient pu le sauver ont été envoyés au goulag et le respirateur qui aurait pu l’aider n’a pas été employé car il est de facture américaine. Staline mort est aussi encombrant que Staline vivant : il n’est qu’à voir la scène burlesque qui voit les membres du Politburo déplacer son corps vers son lit. Et la volonté de liquider toute trace dans la datcha où il est mort va de pair avec la persistance des vieilles habitudes politiques. Si chacun (Malenkov, Beria, Khrouchtchev) tente de récupérer l’héritage spirituel du Secrétaire Général tout en le reniant, tout en le faisant sien, tout en le questionnant etc… le corps du dictateur n’est plus qu’une dépouille que plus personne ne respecte. Baignant dans sa propre urine, dépouille exposée dans une cérémonie funéraire qui a tout d’une mascarade, cadavre autour duquel tout le monde complote ouvertement. Le film n’a de cesse de ramener Le Petit Père Des Peuples à ce qu’il était : un mortel aussi petit que sa folie était grande.

Entre la caricature risible et l’humour noir

Alors mieux vaut-t-il d’en rire qu’en pleurer ? Pas tout à fait, mais les éclats de rire que provoque le film donnent la mesure de la crainte immense ressentie par un pays entier. Le réalisateur n’oublie pas que la farce burlesque, pour être complète, ne doit pas oublier l’horreur que chaque comportement grotesque sous-tend. L’ambition de Lavrentis Beria est risible et terrible, puisque celui qui apparaît comme une espèce d’arriviste est aussi le chef du NKVD chargé de liquider les personnes suspectées de trahison. Le rire n’atténue jamais la cruelle réalité de cette dictature, il ne la rend bien au contraire que plus violente, et cet équilibre entre rire et tragédie est à porter au crédit du scénario bien sûr, ainsi que du casting qui le porte. Steve Buscemi interprète un Nikita Khrouchtchev sournois à souhait, bouffon du roi, qui se dévoile plus retors et sournois que ses collègues perdus depuis la mort de leur guide. Il faut que tout change pour que rien ne change, et les pseudos réformateurs ont tôt fait de devenir les nouveaux conservateurs.

 

Léo Jacquet

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